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La négociation de la politique européenne en matière d’asile. Enjeux, luttes et dynamiques institutionnelles

Nikolas Kountouris
Nikolas Kountouris est doctorant à l’IEP d’Aix-en-Provence sous la direction du Professeur Jean-Pierre Gaudin. Il est membre du Centre de Science Politique Comparative du même IEP.

citation

Nikolas Kountouris, "La négociation de la politique européenne en matière d’asile. Enjeux, luttes et dynamiques institutionnelles ", REVUE Asylon(s), N°4, mai 2008

ISBN : 979-10-95908-08-1 9791095908081, Institutionnalisation de la xénophobie en France, url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article768.html

résumé

La question de l’asile et de la création d’une politique européenne en la matière a constitué un enjeu de discussion entre les Etats et les institutions européennes depuis pratiquement la fin de la Seconde Guerre Mondiale. L’aboutissement de ces discussions a été la mise en place d’un certain nombre de normes communes concernant la création d’une politique européenne en matière d’asile. La création de ces normes a été l’objet explicite d’une négociation entre multiples acteurs au sein de l’Union européenne, qui a conduit à la « communautarisation » du droit d’asile et par conséquence à l’harmonisation du cadre législatif des Etats membres en ce qui concerne plus largement la gestion des flux des réfugiés au « sol » européen. Dans ce cadre, les Etats membres qui pour des raisons historiques ont développé des traditions différentes concernant la gestion des réfugiés politiques ont été obligés d’harmoniser leur cadre législatif concernant le droit d’asile et de transformer progressivement leurs traditions administratives sur le sujet. Notre objectif général consiste donc à comprendre le processus de négociation et de création de la politique européenne en matière d’asile. Il s’agit effectivement de comprendre comment cette politique a été inscrite sur l’agenda européen et comment elle a été négociée par des acteurs européens et nationaux qui n’ont pas forcement eu les mêmes points de départs ni les mêmes priorités politiques.

Comment comprendre les logiques d’évolution de ce nouvel espace d’action située entre les institutions de l’Etat nation et une organisation supranationale en construction ? Un espace d’action qui implique de nouvelles institutions, de nouveaux types de mobilisation sociales et politiques et de nouvelles formes de culture qui vont au-delà des frontières nationales [1].

Le défi qui pose donc la compréhension de ce nouvel espace d’action publique serait d’analyser empiriquement la transnationalisation des enjeux politiques en développant des grilles d’analyse qui permettraient l’étude des politiques qui sont le fruit mais aussi les éléments de base de cette transnationalisation. Ces politiques sont nouvelles dans le sens où jusque très récemment, elles relevaient de la compétence nationale et étaient donc liées à la capacité de chaque Etat de définir ses « problèmes » et la palette de leur solution.

Ce nouvel espace d’action ne remet pas seulement en question la souveraineté des Etats à définir leurs propres « problèmes » mais aussi l’autonomie de construction et de reproduction des élites au niveau national. Il relativise également l’autonomie des traditions institutionnelles nationales vis – a – vis de nouveaux « styles de faire » et la reproduction des références d’action collectifs ou individuels propres à chaque Etat.

La transformation de l’action publique nationale avec l’émergence d’un espace d’action européenne signifie donc la transnationalisation des intérêts stratégiques, des idées et des institutions. Ces variables étaient jusqu’à présent liées à l’action publique nationale et la compréhension de leur interaction relevait de l’analyse à ce niveau.

Désormais, le défi consiste à comprendre leur interaction dans un jeu à deux dimensions et à partir d’une grille d’analyse combinant une dimension horizontale représentative de l’espace national et une verticale représentative de l’espace supranational [2].

La politique européenne en matière d’asile : un cas d’étude représentatif de l’espace d’action publique européenne.

Le processus de négociation et de création d’une politique européenne en matière d’asile serait un cas d’étude intéressant pour la compréhension de la complexité de ce nouvel espace d’action européenne en construction. Ce choix n’est pas fait au hasard. Il n’est pas seulement lié au seul fait que la politique européenne en matière d’asile est une politique « nouvelle » au sens chronologique du terme [3]. Cette politique incarne aussi une longe tradition, propre à chaque Etat européen puisque elle était pour longtemps une politique synonyme de la souveraineté nationale. C’est pour cette même raison qu’elle a une haute valeur symbolique pour les Institutions européennes en ce qui concerne notamment la création d’une Europe politique incarnant un héritage moral et culturel « paneuropéen ». Ce caractère pluridimensionnel de l’asile est donc un élément traversant toute l’analyse.

Une analyse dans le temps et dans l’espace.

Une analyse compréhensive de l’espace d’action européenne quant à l’asile nous invite à placer le processus de négociation et de création d’une politique européenne en la matière au microscope d’une analyse à deux dimensions. Une dimension spatiale et une dimension temporelle. Une analyse dans le temps et dans l’espace serait la seule à pouvoir contextualiser et expliquer un processus compliqué, aléatoire, multidimensionnel et à plusieurs variables à poids inégal.

L’objectif d’une analyse dans le temps serait la compréhension des interactions entre multiples intérêts, idées et institutions situés à des niveaux différents à partir des outils pluridimensionnels. L’adoption d’une perspective temporelle permettrait non seulement de repérer des lignes de continuité par delà des changements apparents mais aussi de mieux identifier les éléments de transformation [4].

En ce qui concerne l’analyse dans le temps nous distinguons quatre séquences temporelles concernant l’évolution de l’espace d’action concernant l’asile. Néanmoins, la focalisation sur la séquence décisionnelle pourrait devenir, en effet un obstacle important à l’analyse, dans la mesure où elle peut conduire à privilégier l’affichage de mesures souvent portées par une rhétorique [5]. C’est pour cette raison que nous tenons à préciser que ces phases ne sont pas de la même ampleur, ses limités ne sont pas clairement identifiables et elles ne regroupent pas les mêmes caractéristiques.

La phase « nationale ». Il s’agit chronologiquement de la période entre la fin de la IIème Guerre mondiale et la signature de l’accord de Schengen [6]. Il s’agit de la période de création et de développement des traditions juridiques, politiques et idéologiques et par conséquence des politiques nationales concernant l’asile. Nous faisons donc l’hypothèse que ce qui représente l’asile au niveau national se développe dans cette période [7].

La phase de la « coopération intergouvernementale » qui peut se situer chronologiquement entre l’accord de Schengen et la communautarisation du IIIème pilier des politiques communautaires [8]. Il s’agit de la phase du développement d’une coopération intergouvernementale sur le domaine de l’asile et de la production de la « soft law » par des institutions européennes en construction.

La troisième phase est la phase de la mise sur agenda européen de l’objectif de mettre en place une politique communautaire en matière d’asile. Il s’agit de la phase la plus courte mais aussi de la plus dense. C’est la phase dont les limites sont le plus difficilement identifiables dans le temps. Nous pensons néanmoins qu’il ne s’agit pas d’un moment mais d’une phase qui s’inscrit dans une logique de continuité et qui est venue progressivement dans le temps et dans l’espace.

La phase de la négociation institutionnelle des instruments législatifs de la politique européenne en matière d’asile [9]. Même si cette phase est limitée dans le plan de production législative elle en est moins dans une logique de négociation politique d’un certain nombre d’éléments qui incarnent plusieurs « starting points »

L’analyse dans l’espace constitue également un des éléments clés en ce qui concerne la compréhension de l’évolution d’un espace d’action européenne concernant l’asile dont la politique européenne en matière d’asile est le fruit et l’élément déclencheur à la fois. Dans ce cadre, la question de la configuration de l’espace d’action européenne en termes d’acteurs, son évolution avec l’émergence de nouvelles élites et l’évolution des cadres d’action de ces acteurs sont pour nous des questions centrales d’une analyse de cet espace européen propre à l’asile. Dans cette logique, l’analyse de la configuration des acteurs incarne trois dimensions.

Primo, une analyse en termes stratégiques. Il s’agit de se poser la question classique « qui décide ». Pour répondre à cette question, le recours à des notions de « policy networks », de « opportunity window » et « d’élite » pourrait être utile dans l’objectif de fournir d’une première explication en termes stratégiques en ce qui concerne l’évolution l’espace d’action européen concernant l’asile.

Secundo, l’analyse de l’évolution des idées au sein de cet espace, avec l’émergence de nouvelles luttes idéologiques, conséquence de la perte du monopole de la production idéologique par le niveau national. Dans ce cadre, l’objectif consiste à comprendre l’interaction des idées avec les intérêts des acteurs de la décision et leur rôle dans l’évolution des cadres d’action de ces acteurs.

Tertio, la question de l’interaction des acteurs avec les institutions et notamment la relation entre « institutional framework » et « action ». Dans ce cadre, l’émergence des nouvelles logiques institutionnelles et la question des apprentissages pourraient être des éléments intéressants en ce qui concerne l’évolution de l’espace d’action européen concernant l’asile.

La politique européenne en matière d’asile. Quelques éléments de compréhension.

La question de l’asile et de la création d’une politique européenne en la matière a constitué un enjeu de discussion entre les Etats et les Institutions européennes depuis pratiquement la fin de la Seconde Guerre Mondiale [10]. L’aboutissement de ces discussions a été la mise en place d’un certain nombre de normes « minimales » concernant la création d’une politique européenne en matière d’asile.

La création de ces normes a été l’objet explicite d’une négociation entre multiples acteurs au sein de l’Union européenne, qui a conduit à la « communautarisation » [11] de la question de l’asile.

Cette communautarisation a conduit à une harmonisation « minimale » [12] du cadre législatif des Etats membres en ce qui concerne plus largement la gestion des flux des réfugiés au « sol » européen [13].

Dans ce cadre, les Etats membres qui pour des raisons historiques ont développé des traditions différentes concernant la gestion des réfugiés politiques ont été obligés d’harmoniser leur cadre législatif concernant le droit d’asile et de transformer progressivement leurs traditions administratives sur le sujet.

Notre objectif général consiste donc à comprendre le processus de négociation et de création de la politique européenne en matière d’asile. Il s’agit effectivement de comprendre comment cette politique a été inscrite sur l’agenda européen et comment elle a été négociée par des acteurs européens et nationaux qui n’ont pas forcement eu les mêmes points de départs ni les mêmes priorités politiques.

Afin de mieux comprendre l’intérêt d’une telle analyse ce serait peut – être intéressant de souligner quelques caractéristiques de la politique européenne en matière d’asile, qui pourraient mieux expliquer le choix d’analyser le processus de négociation et de création d’une politique qui incarne un certain nombre de contradictions inhérentes et qui est porteuse d’une longue tradition politico – historique liée à l’espace européen.

Le droit d’asile, tel qu’il est défini aujourd’hui trouve ses origines à la Révolution française et il en est l’héritage, au moins en ce qui concerne sa conception politique. A la Constitution de 1793 et notamment à l’article 120 « La République donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour cause de la liberté et le refus aux tyrans » [14]. On pourrait aller encore plus loin en considérant que la première conception du droit d’asile appartient à l’antiquité grecque. A cette époque, l’asile désigne le lieu inviolable où se réfugie une personne poursuivie et d’où l’origine étymologique du terme.

Effectivement, le premier caractère du droit d’asile est un caractère moral. En ce qui concerne la politique européenne en matière d’asile, ce moralisme reste un élément constitutif. Les Institutions européennes, au sein des premiers débats concernant une conception commune européenne du droit d’asile et notamment dans les premières années de l’après – guerre, ont mis l’accent sur ce caractère moral du droit d’asile.

Néanmoins, ce moralisme quant au droit d’asile est concurrencé par une vision plus restrictive concernant le sujet qui est liée à la régulation des flux migratoires et à la sécurité de l’Etat. Dans ce cadre, au cours du XXe siècle où des mouvements migratoires apparaissent comme un phénomène incontournable des relations internationales et qui interrogent la souveraineté de l’Etat, l’asile devient aussi un moyen de contrôle de l’immigration.

Cette contradiction entre moralisme et régulation des flux migratoires se trouve également dans la politique européenne en matière d’asile. Néanmoins, le processus de négociation au niveau européen d’une politique commune en matière d’asile vient de ajouter une autre dimension à cette contradiction. La souveraineté des Etats en ce qui concerne la régulation des flux des réfugiés se met en question car désormais, les cadres généraux sont définis au niveau européen. Dans un effort de modélisation de ces contradictions, on pourrait dire que la politique européenne en matière d‘asile incarne un modèle de deux dimensions. Une horizontale entre moralisme politique et régulation de l’immigration et une verticale entre la souveraineté de l’Etat et l’intégration européenne.

Au-delà du caractère contradictoire de l’asile, la politique européenne en la matière, même si elle est récemment mise en place, elle incarne une tradition politico – historique fortement liée à l’espace européen. Dans ce cadre, la création d’une telle politique a eu une valeur fortement symbolique pour l’Union européenne. La mise en place d’une politique d’asile commune au niveau européen pourrait constituer un symbole politique fort en ce qui concerne l’intégration européenne, car les aspects politiques et historiques du droit d’asile, un droit traditionnellement accordé par un Etat souverain, sont loin d’être négligeables.

L’intérêt d’analyser le processus de création d’une politique européenne en matière d’asile.

Au-delà du fait que l’asile représente un enjeu politique fort pour l’Union européenne et les Etats membres, l’analyse du processus de négociation concernant la mise en place d’une politique commune en la matière représente également un intérêt scientifique considérable. Tout d’abord parce qu’il s’agit d’une négociation qui a mobilisé de manière directe où indirecte, une palette d’acteurs collectifs et individuels, qui n’ont pas eu les mêmes priorités politiques, ni les mêmes points de départ. Au-delà du triangle institutionnel européen (Commission, Conseil, Etats), il y a aussi plusieurs acteurs qui ont intervenu directement ou indirectement tout au long du processus de négociation. Des acteurs collectifs tels que le Conseil de l’Europe ou la Cours de justice européenne, ou des acteurs individuels différents, experts, responsables administratifs européens et nationaux, personnalités politiques, juristes, techniciens du droit, membres des ONG.

Egalement, parce que le processus de négociation de la politique européenne en matière d’asile a été marqué par un enchevêtrement des niveaux de décision. L’interaction entre le niveau européen et le niveau national en ce qui concerne la mise en place de la politique européenne en matière d’asile, mais aussi le renforcement du niveau local en ce qui concerne « l’implementation » de cette politique [15] nous invitent de quitter les schémas traditionnels d’analyse du « decision – making » pour comprendre le processus de négociation d’une politique européenne qui est marquée par des contradictions inhérentes et par une négociation complexe [16].

L’objectif général consiste donc à analyser la négociation multi – niveaux et multi – acteurs de la mise en place de la politique européenne en matière d’asile. Le processus de création de la politique européenne en matière d’asile a eu lieu dans un espace de négociation complexe, au sein duquel l’interaction entre plusieurs niveaux et acteurs constitue un élément important.

Loin d’une procédure linéaire, le processus de création de la politique européenne en matière d’asile a créée un espace de négociation, dont la compréhension demande une approche dynamique. Dans ce cadre, l’analyse de la négociation cherchera à comprendre les différentes logiques et de combiner des approches, afin d’expliquer un processus politique qui incarne des rationalités différentes, des intérêts politiques diverses, des valeurs partagés et des poids institutionnels asymétriques.

L’analyse de la configuration de l’espace d’action européenne concernant l’asile.

La compréhension du processus de création d’une politique européenne en matière d’asile représente un défi analytique majeur. Comment analyser le processus de création d’une politique polycentrique, complexe et multidimensionnelle ? Comment transposer les grilles d’analyses réservées jusqu’ici à l’action publique nationale à un niveau d’analyse combinant le national et le supranational où la définition des problèmes et de la palette de leur solution n’est plus une question uniquement nationale ? Comment pourrait – on expliquer par exemple ce paradoxe concernant la mise sur agenda européen de l’asile ?

Cette question pourrait être illustrative de la complexité de cet espace d’action situé entre la national et le supranational. L’asile a d’abord été défini en tant que « problème public » au niveau national. Certes la Convention de Genève est un texte international mais son interprétation relevait de chaque Etat signataire. Cette construction donc de l’asile en termes de « problème public » a déclenché un mécanisme d’élaboration des « solutions » au niveau national et de définition des premières politiques sur ce sujet. C’était dans les années 1970 – 1980 [17].

Ce « problème public » défini au niveau national a été réapproprié et reconstruit au niveau européen par des nouveaux acteurs qui venaient de concurrencer ce monopole de définition des problèmes au niveau national. La difficulté de ces nouveaux acteurs d’imposer leur définition de ce « problème » en tant que « problème européen » a conduit à une construction paradoxale.

« La mécanique de l’accélération a été mise en place avant qu’il y ait un contenu pour justifier cette accélération. C’est pour cela que j’emploi toujours le terme « pyramide inversée ». Normalement, dans la construction communautaire, il y a d’abord un Traité qui établit une compétence sur la substance, une procédure, et une « deadline », une échéance. Là c’est l’inverse qui s’est produit. Il y a eu d’abord le besoin, ensuite difficilement on a avancé et ce n’est qu’à la fin qu’on a eu des outils juridiques et ensuite un programme politique. Donc c’est vraiment le principe de la pyramide inversée. On a démarré petit pour arriver grand au sommet » [18].

Le processus donc de création de la politique européenne en matière d’asile ne peut pas être analysé par les modèles classiques de policy making. Si l’on voulait schématiser ce processus dans une logique séquentielle, il faudrait inventer un modèle inédit. On pourrait considérer comme première séquence la phase de la « construction d’un problème national ». En deuxième lieu, la phase de réappropriation de ce « problème national » au niveau européen. Néanmoins, cette réappropriation n’a pas abouti à une mise sur agenda européen de ce « problème ». La conséquence était que les acteurs européens ont élaboré une palette de solutions « soft » au niveau européen pour un « problème » national. C’est le cas du travail au sein du Traité de Maastricht. Ensuite, on pourrait distinguer une troisième séquence qui est celle de la mise de l’asile sur l’agenda européen. C’est donc après le Traité d’Amsterdam que l’asile devient un « problème » européen, mais dont la palette de solutions était déjà négociée de manière « soft ». C’est – à – dire en ayant adopté de la législation non contraignante. Ceci est déterminant pour la séquence suivante qui est celle de la négociation explicite des instruments législatifs de cette politique. Ces instruments son en effet le fruit d’une renégociation de la législation « soft » qui a déjà été négociée.

Comment pourrait – on donc analyser un processus marqué par plusieurs « starting – points » et qui a été aussi différencié selon les réalités nationales de chaque Etat membre. Même s’il s’agit d’un schéma de decision – making atypique, est –ce qu’il peut fournir une explication généralisable pour tout l’espace d’action concernant l’asile ? Comment donc expliquer par exemple les réalités nationales différentes ?

Dans certains Etats membres avec des traditions politiques, juridiques et sociales développées concernant l’asile l’émergence de cette nouvelle dimension européenne pourrait signifier une mise en question du monopole de définition de l’agenda par les élites nationales tandis que dans d’autres Etats membres l’émergence d’un espace d’action européenne concernant l’asile a déclenché un processus de formation des élites nationales sur ces questions.

Afin de mieux saisir les spécificités de l’espace d’action européenne quant à l’asile nous allons s’intéresser à l’évolution de la configuration des acteurs dans cet espace. Des acteurs qui sont des porteurs de stratégies bien sûr mais qui sont également de porteurs d’idées et de structures. Comment donc ces variables ont influencé l’espace d’action européenne quant à l’asile ? Quelle était leur évolution ?

Les acteurs de la décision en réseau. Une multiplicité de « players ».

La notion de « réseau » pourrait être un outil intéressant pour analyser la complexité de la configuration des acteurs de l’espace européen quant à l’asile. Selon Patrick le Galès les réseaux d’action publique « sont le résultat de la coopération plus ou moins stable, non hiérarchique, entre des organisations qui se connaissent et se reconnaissent, négocient, échangent des ressources et peuvent partager les normes et les intérêts » [19] Adoptant une analyse en termes de réseaux servirait donc à comprendre, au-delà des intérêts stratégiques qui interagissent, le processus de construction et de diffusion des valeurs collectifs au sein de l’espace de négociation de la politique européenne en matière d’asile. Il s’agit de s’intéresser au processus de construction de règles collectives et des références d’action qui alimente les routines, mais aussi sur le rôle des institutions dans les négociations entre acteurs [20].

L’espace européen quant à l’asile est une arène où plusieurs réseaux entrent en concurrence. Chaque institution essai de mobiliser ses propres réseaux pour valoriser ses propres stratégies.

Il n’est pas rare par exemple le phénomène de mobilisation des réseaux d’experts propres à chaque institution pour fournir d’expertises propres qui pourraient légitimer une idée où une vision d’une politique au détriment d’une autre

Dans cet environnement de réseaux en concurrence la circulation des acteurs entre réseaux est un phénomène banal. Les réseaux en concurrence donnent la possibilité aux acteurs de circuler en mettant en place des stratégies de promotion de leur carrière.

Pour comprendre la configuration de ces réseaux, il suffit de regarder l’évolution de l’espace d’action européen concernant l’asile. Les premiers éléments de ces réseaux peuvent être repérés dans la fin des années 1980 [21]. À partir de l’idée de la création d’un espace intérieur sans frontières [22], un certain nombre de structures plus ou moins formalisées commencent à voir le jour.

C’est au sein du Groupe Schengen dans la deuxième moitié des années 1980 que les ministres de l’Intérieur des Etats signataires de l’accord Schengen se réunissent régulièrement dans le but d’établir une zone à « visa uniforme ». Ce groupe s’intéresse également au droit d’asile en termes de libre circulation des personnes et de mesures de police et sécurité [23]. 24

La question de l’asile est aussi traité au sein du Groupe TREVI après une initiative de la Présidence britannique de 1986 et à partir de 1992 s’est crée au sein de ce groupe, le Groupe TREVI IV (également TREVI 92) sur les mesures compensatoires à la libre circulation [24]. 25

Ces deux groupes sont à l’origine de la création d’un groupe ad hoc immigration au sein du Conseil comprenant une sous commission Asile. Voici comment cette première structure du Conseil a vu le jour selon un haut fonctionnaire de la Commission de l’époque :

C’est le hasard et l’intelligence de la Présidence britannique en 1986 qui a dit puisque dans la plupart des pays c’est du ressort des ministres de l’Intérieur, sauf en Grèce où ça dépend de l’ordre publique, puisque il se réunissent déjà à Londres pour le cadre TREVI, puisque se sont les mêmes, autant de leur faire faire les deux choses dans la foulée. Et pour être sûr qu’ils viennent et que les ministres viennent, ils ont eu l’intelligence suprême les britanniques de prévoir entre le jour TREVI et le jour immigration, un dîner officiel de la princesse de Gales. Ca fait venir tous les ministres. Donc TREVI c’était les mêmes mais ils n’agissaient pas dans la même capacité [25].

Dans ce même période la Commission européenne commence aussi de mettre en place une équipe chargée des questions d’asile sous la forme d’un Comité ad hoc Immigration comprenant une sous commission Asile. Il serai peut – être intéressant la vision du même haut fonctionnaire concernant la façon dont cette équipe à été mise en place.

Le Parlement avait publié un rapport d’initiative sur le droit d’asile en Europe et chose tout à fait curieuse le Parlement européen a décidé que le rapporteur ferait d’abord un tour des Etats membres pour voir la situation sur le droit d’asile et le statut de réfugié. Et chose encore plus curieuse le Parlement européen a demandé à la Commission d’envoyer quelqu’un qui pourrait participer à ce tour des capitales. Le rapporteur était quelqu’un relativement connu, c’était Monsieur Hans Oscar Fetter qui était l’ancien dirigeant de la DGB, le puissant syndicat allemand, qui était âgé mais c’était quelqu’un qui avait une vraie présence sur la scène syndicale allemande. Il a envoyé cette lettre à la Commission, c’est descendu dans les services et c’est arrivé dans le service qui s’occupait de préparer la libre circulation des personnes, personne ne travaillait sur le droit des réfugiés et on m’a dit … « écoute tu as l’occasion de faire usage de ton acquis en suivant cette visite ». Et c’est comme ça que ça a commencé.

Ce premier espace d’action européenne concernant l’asile est composé d’un nombre restreint d’experts. Progressivement dans les années 1990 on assiste à une ouverture progressive de cet espace à de nouvelles élites qui se livrent à une lutte d’influence et à la promotion de leur « vision » de cet espace. A partir de 1992 et le Traité de Maastricht, toutes les Institutions essayent de pérenniser leur structures de mobiliser leurs experts et de promouvoir leur « vision » d’asile.

…Il est impossible maintenant de connaître les noms de tous les gens qui travaillent dans le Conseil. Avant, on était un petit club. On se connaissait. Maintenant, on est de plus en plus dans une logique de rotation et aussi on est désormais différents experts dans chaque service. Avant on était les mêmes à négocier les sujets concernant l’asile, les visas, les mesures contre l’immigration clandestine. Maintenant on est de plus en plus dans une logique anonyme [26].

La Commission crée donc en 1992 la Task Force Justice et affaires intérieures qui allait devenir en 1999 une Direction Générale au sein de laquelle il y a la Direction B consacrée à l’asile et qui regroupe une cinquantaine de fonctionnaires. Le Conseil de son côté met progressivement en place une Institution spécifique à la Justice et aux affaires intérieures dans une structure à quatre niveaux. Un group de travail Asile regroupant des experts nationaux, un groupe intermédiaire la « SCIFA » 28 qui regroupe des directeurs et des secrétaires des ministères de la Justice et des affaires intérieures, la COREPER au sein de laquelle on crée des postes de Conseillers Asile des répercussions permanentes et le Conseil des Ministres regroupant les ministres de l’Intérieur et de justice.

Du côté du Parlement européen une Commission des libertés publiques et des affaires intérieures est crée ayant l’asile dans son domaine de responsabilité. L’action du Parlement sur la question est hautement symbolique et médiatisée. Le Parlement devient un lieu d’investissement d’un nouvel acteur collectif qui va devenir incontournable dans les années 1990. Les ONG.

Certes, la Commission dès les années 1980 a travaillé étroitement avec le Haut Commissariat pour les Réfugiés des Nations Unies. Il s’agissait d’une coopération informelle entre ces deux institutions notamment dans la base de l’expertise de l’HCR sur les questions concernant l’asile et les réfugiés. Il s’agissait aussi d’une légitimation de l’action de la Commission par une Institution internationale dont la compétence sur les questions d’asile était indiscutable. Cette coopération s’institutionnalisera plus tard avec le Traité d’Amsterdam. La consultation du HCR par les membres de la Commission est une pratique courante et en ce qui concerne l’élaboration des propositions de directive le HCR est le premier à être consulté. Néanmoins la nature de cette coopération se changera profondément. Au fur et à mesure de la négociation ce monopole d’expertise « légitime » de l’HCR vis – à – vis de la Commission sera concurrencé par d’autres acteurs et par la Commission elle – même. Certes, la Commission européenne restera un des financeurs les plus importants du HCR mais ce dernier n’aura plus le monopole d’expertise. De l’autre côté, le bureau du Haut Commissariat pour les Réfugiés à Bruxelles devient le lieu fédérateur d tous les ONG qui siègent à Bruxelles. Une plateforme informelle sous l’égide de l’HCR sera mise en place regroupant tous les ONG qui siègent à Bruxelles.

Les ONG qui travaillent sur l’asile commencent à apparaître à l’espace d’action européenne concernant l’asile dans les années 1990. Certes, la prise de conscience des associations nationales qu’il faudrait investir sur le niveau européen qui devient de plus en plus pesant sur la scène nationale commence progressivement dans les années 1980. Néanmoins, les premiers forums de communication entre associations nationales restent informels jusqu’aux années 1990. C’est à partir des années 1995 qu’apparaissent les premières « confédérations » européennes des associations nationales quant à l’asile. Il s’agissait de mettre en place des structures qui feraient un travail de lobbying en permanence auprès des Institutions européennes. C’est le cas d’ECRE et d’Amnistie International qui ouvrent des bureaux à Bruxelles à partir de ces années. Au fur et à mesure de l’ouverture de l’espace européen quant à l’asile il y en aura d’autres. Les églises par exemple manifestent leur intérêt et créent des instances puissantes de lobbying sur l’asile.

Cet espace des ONG connaitra aussi des évolution et il est intéressant de voir sont transformation de cet espace dans le temps. Dans un premier temps, les ONG ont pour objectif de confirmer leur présence dans l’espace d’action européenne quant à l’asile. Ils mobilisent donc de ressources importantes en organisant des événements médiatiques de taille importante. Un exemple caractéristique de cette attitude est le Sommet parallèle qu’ils organisent à Tampere dans les mêmes dates et à une centaine de mètres à proximité avec le Sommet officiel des chefs des Etats et de gouvernement des Etats membres. Les ONG profitent d’un climat politique favorable à la création d’une « Europe sans frontières » où le respect des Droits de l’Homme serait une question centrale, pour passer leur message. La Commission européenne participe également à cet événement en trouvant un appui à son action et en montrant en même temps qu’elle soutien l’action de la « société civile ». Des canaux de communication permanente entre la Commission et les ONG vont ouvrir dans les années 1990 et même certains responsables des ONG vont passer à l’équipe de la Commission qui offre des perspectives de promotion de carrière intéressante.

Après cette première phase, l’espace des ONG ouvrira et deviendra lui aussi une arène de concurrence. Désormais, les structures européennes des ONG s’autonomisent des associations nationales et créent leurs logiques propres. La problématique sera inversée. Désormais un certain nombre « d’indicateurs de puissance » va se mettre en place. Chaque ONG « doit » avoir ses propres réseaux nationaux. Si au début des années 1990 les ONG à Bruxelles n’étaient que des délégués européens des associations nationales, désormais les associations nationales deviennent les délégués des ONG sur le terrain. Dans ce cadre, les ONG les plus puissantes sont celles qui ont un réseau important de délégués nationaux. Ce changement, force certaines associations nationales historiques de se désintéresser du niveau européen et de ne plus mobiliser des ressources importantes sur ce niveau. Dans ce contexte, quant aux acteurs, du côté de la figure de « l’expert national – technicien du droit » du Conseil, du « négociateur permanent » des Représentations des Etats membres, de « l’expert » de la Commission on trouve aussi la figure du « conseiller humanitaire » des ONG.

L’espace d’action européen concernant l’asile, un espace de lutte idéologique.

Dans cet espace d’action européen concernant l’asile la configuration stratégique des acteurs ne représente qu’un élément de l’analyse. Le rôle des idées est également important. La lutte idéologique entre différentes « visions du monde » est un élément constructif de cet espace. Pour Pierre Müller, les politiques publiques sont « beaucoup plus que des processus de décision auxquels participent un certain nombre d’acteurs. Elles constituent le lieu où une société donnée construit son rapport au monde » [27]. Selon Christian Lesquene et Andy Smith un certain nombre d’études des politiques européennes « occulte les phénomènes de représentation et de symbolique politiques (…). L’analyse tend à privilégier les contacts observables entre acteurs institutionnels mais néglige les représentations sociales qui portent les acteurs » [28].

Les différentes visions de la politique européenne en matière d’asile sont des références d’action importantes pour les acteurs qui les mobilisent pour justifier leur action mais aussi pour valoriser leur position.

Dans le cas de la politique européenne en matière d’asile aucune « vision du monde » ne devient prédominante et la concurrence idéologique entre acteurs pour imposer leur vision est un élément constitutif. Cette lutte idéologique en permanence s’exprime avec la mise en avance des arguments idéologiques qui incarnent des visions différentes de la politique européenne en matière d’asile, propres à chaque acteur selon sa place dans l’espace d’action européenne concernant l’asile. Ces arguments sont aussi de formes de légitimation de l’action non pas seulement dans un terrain stratégique mais aussi dans un terrain idéologique.

On pourrait regrouper ces arguments en trois grandes catégories. Tout d’abord une catégorie regroupant les arguments « humanitaires ». Il s’agit d’une vision de la politique européenne en matière d’asile morale. Selon cette approche l’asile doit être un « droit » qui garantie le « respect des Droits de l’Homme ». Une vision d’un « espace européen des Droits de l’Homme » serait l’incarnation idéologique de cet argument. Deuxièmement, une catégorie concernant les arguments « sécuritaires ». Il s’agit d’une vision de la politique européenne en matière d’asile basée sur la « sécurité » de l’Europe vis – a – vis du terrorisme. Une vision d’un « espace européen de sécurité et de lutte anti – terroriste » serait l’incarnation idéologique de cet argument. Troisièmement, une catégorie des arguments « utilitaires ». Il s’agit des arguments de nature plus pragmatique que idéologique. Ces arguments incarnent la « réponse efficace sur un problème qui dépasse la capacité des Etats ». Dans ce cadre, la politique européenne en matière d’asile serait la réponse « commune à un problème commun ». On pourrait repérer néanmoins deux nuances différentes de cette catégorie d’argument dont la nature est celle de coexistence avec les deux visions de la politique européenne en matière d’asile la « humanitaire » et la « sécuritaire ». La première nuance serait la mise en avance de la « nécessité de mettre en place une politique de solidarité » pour aider les pays qui font face à de difficultés à gérer les flux des demandeurs d’asile sur leur sol. Le « besoin » de mettre en place d’une politique de « burden sharing » [29] 30 serait la concrétisation de cette nuance. La deuxième nuance serait exprimée par la « nécessité d’harmonisation législative des politiques nationales ».

Cette nuance est incarnée dans une logique de mettre en place un système commun pour éviter les phénomènes « d’asylum shopping » et « d’orbit refugee ». Dans les deux cas, l’argument utilitaire incarne une vision communautaire de l’asile qui doit être traité en tant que « problème européen ».

Ces différentes « visions » de la politique européenne en matière d’asile cœxistent dans l’espace d’action. Elles évoluent selon l’évolution de cet espace et font évoluer cet espace. Des acteurs différents pourraient être à l’origine de ces visions néanmoins au fur et à mesure elles s’autonomisent et deviennent des références d’action pour des acteurs. Elles conditionnent l’action à la même façon qu’elles sont conditionnées par celle – ci.

Les institutions en action. L’européanisation des routines et des cadres d’action.

Le processus de négociation d’une politique européenne en matière d’asile a eu comme résultat la construction d’un univers institutionnel marqué par son polycentrisme au sein duquel plusieurs entités institutionnelles autonomes impliquent des régulations démultipliées. Ceci ne réduit pas l’importance des appartenances institutionnelles, car les acteurs, même s’ils agissent dans un univers mobile, ils fond partie des groupes qui ont toujours leurs règles propres. Ils ont appris des savoirs dans des cadres, qui n’étaient certes pas totalement établis, qui ont évolué progressivement mais qui s’inscrivaient dans une certaine tradition. S’intéresser donc au processus de création d’une politique européenne en matière d’asile, signifie de s’intéresser à des contextes d’action, des institutions et des milieux dans lesquels sont déroulées des négociations et les décisions [30].

Néanmoins, pour ce qui concerne l’espace d’action européenne concernant l’asile la question n’est pas simple pour une raison pourtant simple. Parce que les traditions, les cadres, les routines propres à chaque milieu d’action, ont été crée progressivement et à partir du processus de création d’une politique européenne en matière d’asile et parallèlement avec la formation d’un espace d’action européenne en la matière. Certes dans un environnement institutionnel européen déjà existant, un certain nombre de logiques et de routines existaient déjà.

Mais la réappropriation de certaines de ces traditions européennes par l’espace d’action sur l’asile est une dimension intéressante. Pour formuler de manière plus simple cette interaction, il ne s’agit pas simplement de voir comment les structures ont déterminé les cadres d’action des acteurs mais aussi comment les acteurs ont déterminé les structures et les institutions.

L’analyse donc du rôle des institutions sur cet espace d’action européenne concernant l’asile demande une approche dynamique. Il s’agit de s’interroger d’une part sur les apprentissages individuels et collectifs des rôles et des règles mais aussi sur l’impact de l’action des acteurs sur la création des logiques institutionnelles propres à chaque institution, autonomes mais pas indépendantes puisqu’il s’agit des logiques communicantes.

Pour répondre à ces questions, il faudrait d’une part analyser l’histoire des structures européennes formelles telles que les structures mises en place par la Commission et le Conseil ou informelles telles que les ONG, afin de repérer les éléments structurels de l’histoire institutionnelle de l’espace d’action européenne quant à l’asile. Quelles logiques d’action donc sont propres à chaque institution ? Comment des logiques d’action différenciées interagissent au sein de cet espace ? Nous pouvons repérer des différents policy styles propres à chaque institution. Au sein de la Commission européenne par exemple l’organisation des équipes est moins structurée qu’au Conseil. Les équipes sont structurées autour d’un projet et elles se recomposent plus fréquemment. Elles sont plus mobiles, moins structurées et par conséquence, moins stables. Ceci peut être expliqué en partie par la formation tardive d’une équipe propre à la Commission concernant l’asile. Cette équipe a été crée ex nihilo et a toujours était petite en nombres contrairement au Conseil où la structure propre à l’asile à été crée à partir des groupes déjà établis tel que le groupe TREVI ou le groupe Schengen. Dans la pratique donc, le rédacteur d’un texte de proposition de directive de la Commission est peu encadré en ce qui concerne la formulation de sa proposition. Il est également libre de choisir ces partenaires dans sa rédaction. Cette logique a conduit plusieurs ONG à s’investir aux contacts avec la Commission et ceci pourrait être un élément d’explication concernant la proximité relationnelle entre Commission et ONG. Cette logique pourrait fournir aussi un élément d’explication autre que la promotion de carrière en ce qui concerne le passage de certains responsables des ONG à l’équipe de la Commission.

De l’autre côté, la question de l’apprentissage des normes et des règles dans des formes de négociation explicite peut fournir d’éléments de réponse à la question de l’impact des logiques institutionnelles sur l’action des acteurs. La transversalité d la négociation, l’implication des « passeurs » entre des mondes de référence différents impliquent en effet des modes de faire et des formes de compétences nouvelles très demandées [31]. Dans ce cadre, la mise en valeur de la « polyvalence » traduite par un passage par plusieurs postes dans des différentes institutions est un élément valorisant pour les acteurs de l’espace d’action européenne quant à l’asile.

Le processus de négociation de la politique européenne en matière d’asile est synonyme d’un processus d’apprentissage qui a impliqué une réévaluation d’un « problème public » national. Il s’agit donc d’un apprentissage dynamique qui d’une part a conduit à la réévaluation de l’approche d’un problème et d’autre a déclenché un processus de professionnalisation de l’espace d’action européenne en matière d’asile dans le sens où les acteurs de la négociations ont appris à conjuguer des compétences évolutives, ils ont développé des capacités à mobiliser des multiples réseaux d’interconnaissance diversifiés, liés à des itinéraires professionnels et militants en combinant des ressources techniques et politiques et un savoir faire de la négociation.

Conclusions

Le processus de création d’une politique européenne en matière d’asile a marqué profondément l’espace d’action publique sur le sujet. Il ne s’agit pas seulement du fait que désormais cet espace comprend plusieurs dimensions mass aussi que cette évolution a profondément changé la nature de cet espace. L’espace d’action publique concernant l’asile contient désormais un certain nombre de caractéristiques qui étaient inexistantes auparavant. Sa transformation est profonde. Il s’agit d’un espace peu linéaire, pluraliste et dont il est très difficile de définir les limites.

Le processus de création d’une nouvelle politique européenne telle que la politique européenne en matière d’asile, a changé profondément les cadres d’action des acteurs en créant un nouvel espace de négociation et en faisant naître des nouveaux types d’action publique, de nouveaux « policy styles », en déclenchant de nouveaux apprentissages de normes et de règles et en créant finalement un nouvel espace politique marqué par sa complexité, par sa souplesse et par l’opacité de ces frontières, au sein duquel l’action de chaque acteur devient moins déterminante et où l’on ne peut pas identifier clairement les inputs et les outputs de chacun.

Nikolas KOUNTOURIS
Doctorant à l’IEP d’Aix – en – Provence sous la direction du Professeur Jean – Pierre Gaudin
membre du Centre de Science Politique Comparative du même IEP

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NOTES

[1] Adrian Favell, « L’européanisation ou l’émergence d’un nouveau champ politique : le cas de la politique d’immigration » in Sociologie de l’Europe : Mobilisations, élites et configurations institutionnelles, sous la direction de Virginie Guiraudon. L’Harmattan, Paris, 2000. Page 153.

[2] Gilles Massardier, « Politiques et action publiques ». Introduction, Deux ordres politiques qui se chevauchent. Armand Colin, Paris, 2003. Page 10 – 11

[3] La fin des négociations concernant les instruments législatifs de la politique européenne en matière d’asile se situe en 2005 avec l’adoption de la palette des instruments législatifs qui existent aujourd’hui.

[4] Joseph Fontaine et Patrick Hassenteufel, « To change or not to change. Les changements de l’action publique à l’épreuve du terrain”. Presse Universitaire de Rennes, 2002, Rennes. Page 9 – 10

[5] op. cit. page 11

[6] L’accord de Schengen a été signé en 1985. Néanmoins, son application complète s’est terminée en 1999.

[7] Le processus de création des politiques nationales en matière d’asile ne subit pas la même évolution dans tous les Etats membres. Il s’agit d’une modélisation valable pour un certain nombre de pays tel que la France ou l’Allemagne mais elle est fausse pour un pays comme la Grèce par exemple. On pourrait donc penser que cette modélisation serait valable pour des pays avec des traditions d’accueil des réfugiés

[8] Le Traité d’Amsterdam signé le 2 octobre 1997 communautarise une partie des matières qui relevaient auparavant de la coopération dans le domaine des affaires intérieurs et de la justice. Voir Jean – Paul Jacqué « Droit institutionnel de l’Union européenne. § 6 Le Traité d’Amsterdam, Dalloz, Paris, 2004. Page 13 – 14

[9] La politique européenne en matière d’asile contient 6 instruments législatifs principaux dont 4 directives et 2 règlements et un instrument financier. La directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 « relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil ». La directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 “relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres ». La directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 « concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts ». La directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 « relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres ». Règlement (CE) no 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 « établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers » et le règlement (CE) no 2725/2000 concernant « la création du système « Eurodac » pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application efficace de la convention de Dublin ». L’instrument financier est le Fonds européen pour les Réfugiés (FER).

[10] Dans l’esprit de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales du Conseil de l’Europe en 1950, nous trouvons la première résolution du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe concernant les réfugies après une initiative de la représentation allemande. Il s’agit de la RESOLUTION (50) 53 (4 Novembre 1950) – « Problem of Refugees ». Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. En ce qui concerne l’Union européenne depuis 1985 et l’accord Schengen l’asile devient l’objet de négociation entre les Etats

[11] Après le Traité d’Amsterdam la politique d’asile fait partie du premier pilier, c’est – à – dire du droit communautaire.

[12] Selon le Traité d’Amsterdam et notamment l’article 63 du Traité, l’objectif est la mise en lace des normes minimales concernant l‘asile

[13] Effectivement, la politique européenne en matière d’asile est étroitement liée à la création d’un espace européen sans frontières intérieurs, connu comme « Espace Schengen » en ce qui concerne notamment la libre circulation des personnes et la notion de « frontières extérieures ».

[14] La Constitution du peuple français de 24 juin 1793. Article 120, des rapports de la République française avec les nations étrangères.

[15] La politique européenne en matière d’asile prévoit l’objectif du renforcement de « capacity – building » des acteurs locaux, en ce qui concerne notamment « l’accueil des demandeurs d’asile ». Voir par ailleurs la directive 2003/9/CE relative aux normes minimales d’accueil des demandeurs d’asile du 27 janvier 2003.

[16] Massardier G., Politiques et action publique. 2003, Paris, Armand Colin. Introduction, p. 9 – 10

[17] Cette schématisation serait valable pour de pays qui ont traditionnellement pays d’accueil des réfugiés. Pour les pays d’origine ce schéma n’a pas de valeur explicative.

[18] Entretien avec un haut fonctionnaire de la Commission

[19] Le Galès P., Les réseaux d’action publique entre outil passe – partout et théorie de moyenne portée in Le Galès P., Thathcer M., Les réseaux de Politique Publique. Débats autour des policy networks. Paris, 1995, L’Harmattan, p. 14.

[20] Muller P., « Un espace européen des politiques publiques », in Mény Y., Muller P., Quermonne J. – L., (dir) « Politiques publiques en Europe ». 1994, L’Harmattan, Paris, p. 19

[21] Notamment à partir de la signature de la Convention de l’application de l’accord Schengen en 1990 où une dans le Groupe de travail de Schengen se met en place un group Asile qui se réuni régulièrement à Bruxelles dans les locaux de BENELUX.

[22] Pour certains interlocuteurs, il s’agit de l’Acte unique et la mise en place d’un marché intérieur. Pour d’autres il s’agit de la mise en place d’un espace Schengen sans frontières intérieures.

[23] Danièle Joly, « Le droit d’asile dans la Communauté européenne ». International Journal of Refugee Law. Volume 1 Numéro 3. Oxford University Press 1992. Page 367

[24] Wenceslas de Lobkowicz, « L’Europe et la sécurité intérieure. Une élaboration par étapes ». La Documentation française, Paris, 2002. Page 29

[25] Entretien avec un haut fonctionnaire de la Commission

[26] Entretien avec un haut fonctionnaire du Conseil

[27] Pierre Müller, « Les politiques publiques ». Que sais – je ? Presse Universitaire de France, 6ème édition, 2006, Paris. Page 59.

[28] Lesquesne C. Smith A., (dir) Cultures et Conflits, « Interpréter l’Europe : éléments pour une relance théorique », Paris, L’Harmattan, n. 28, hiver 1997, p. 86

[29] Etant devenue très négativement connoté le terme « burden sharing », il est de moins en moins répandue et il est progressivement remplacé par le terme « responsabiity sharing »

[30] Jean – Pierre Gaudin, « L’action publique. Sociologie et politique ». Presses de Sciences Po et Dalloz. 2004. Paris. Page 227

[31] Jean – Pierre Gaudin, « L’action publique. Sociologie et politique ». Presses de Sciences Po et Dalloz. 2004. Paris. Page 227